Interview : l’eau du robinet, un geste du quotidien sans microplastiques

Dernière mise à jour :  vendredi 7 octobre 2022
Bruno Tassin, directeur de recherche à l’École des Ponts ParisTech et chercheur au LEESU.

Le premier sommet international pour la protection des océans, le One Ocean Summit, organisé à Brest en février a rappelé que la contamination des océans par le plastique vient des continents. Comment le plastique est diffusé dans l’environnement ? Quelles en sont les conséquences ? Quelles actions sont à mener pour éradiquer ce fléau ?

Éléments de réponse avec Bruno Tassin, directeur de recherche à l’École des Ponts ParisTech et chercheur au LEESU – Laboratoire Eau, Environnement et Systèmes Urbains – avec lequel le SEDIF a mené une étude sur les microplastiques.

 

- La pollution de l’environnement par les plastiques, nous en sommes tous témoins, est omniprésente. Mais ne serait-ce pas la partie émergée de l’iceberg ?

Quand on parle de pollution plastique dans les fleuves ou d’autres cours d’eau, il faut savoir que les débris plastiques couvrent un très large continuum de tailles, des macrodéchets plastiques de quelques cm à plusieurs dizaines de centimètres, aux microplastiques, dont la taille est comprise entre 1 µm et 5 mm. Ces microplastiques pour les plus petits ne sont pas observables à l’œil nu et pourtant ils sont particulièrement présents !

 

- Avez-vous des chiffres des quantités de plastique transportées par les fleuves vers les océans ?

Les estimations varient dans de grandes proportions. Les premières, en 2015, évoquaient une dizaine de millions de tonnes par an (équivalant à 2 à 4% de la consommation mondiale annuelle). Elles sont aujourd’hui largement revues à la baisse, mais il ne reste pas moins inadmissible que ces molécules complètement artificielles et liées aux activités humaines se retrouvent dans les écosystèmes, tant marins que continentaux. Pour les microplastiques, un article récent paru dans le journal Science estime avec l’aide des outils de modélisation que les apports fluviaux de microplastiques vers les océans ne sont pas de plusieurs millions de tonnes comme suggéré par plusieurs travaux antérieurs mais seulement de quelques milliers de tonnes par an. Même revus à la baisse, ces flux restent importants.

 

- Comment se dégradent les plastiques dans le milieu naturel et quelle est la durée de ce processus ?

Les débris plastiques vont se fragmenter principalement sous l’effet du rayonnement solaire, particulièrement les rayons ultra-violets, et des contraintes mécaniques. L’action microbienne peut également influencer cette fragmentation mais les premières études suggèrent que ce phénomène reste minoritaire. Dans la mesure où il n’existe pas un seul type de plastique, mais des milliers de formulations possibles (doses d’additifs, plastiques simples ou multicouches, etc.), il est difficile de répondre à cette question en généralisant à l’ensemble des déchets qu’on peut retrouver. Ce qui est sûr, c’est que dans l’eau, cette fragmentation est un processus relativement lent, allant de la dizaine à la centaine d’années.

 

- D’où viennent les microplastiques ?

Certains microplastiques ont été ajoutés intentionnellement dans certains produits de notre quotidien (crèmes exfoliantes, dentifrices, etc.). On les appelle les microplastiques primaires. Leur utilisation dans ce type de produits est progressivement banni. D’autres microplastiques viennent de l’usure des objets qui nous entourent – dans nos habitations ou dans nos environnements ou encore de la fragmentation de déchets plastiques abandonnés et qu’on retrouve le long des berges des fleuves et rivières. Ils sont générés par la dégradation et les déchets de nos espaces urbains.

 

- Quels risques représentent-ils pour la faune aquatique ?

D’un côté, il faut distinguer les macrodéchets – ceux de grande taille – pour lesquels des actions curatives de collecte de déchets peuvent être mises en place, et de l’autre les microplastiques pour lesquels mettre des actions curatives en place n’a guère de sens car il sera particulièrement difficile techniquement de les capter. Plusieurs initiatives se développent au niveau international pour lutter contre la pollution plastique, tel que The Ocean Cleanup dont les structures flottantes permettent de récupérer les débris plastiques en mer. On peut cependant regretter que la plupart soit des solutions curatives technologiques et non des solutions préventives nous menant à repenser notre consommation de plastique.

 

- Et l’eau du robinet, contient-elle aussi des microplastiques ?

Jusqu’à présent, on ne savait vraiment pas grand-chose sur ce sujet. Quelques études particulièrement récentes ont été publiées en 2020 ou 2021. Elles soulignent la présence de microplastiques dans l’eau du robinet, mais à des niveaux très bas comparativement à ceux qu’on peut trouver dans la ressource. L’exposition liée à la consommation de l’eau est beaucoup plus faible que celle liée à la respiration, voire à l’ingestion d’aliments. Pour disposer de données en Île-de-France, nous avons initié une étude avec le SEDIF. Les premiers résultats montrent que les traitements mis en œuvre dans les usines du Syndicat sont efficaces. Il faut poursuivre la pédagogie autour de l’eau du robinet afin que les usagers continuent de la consommer encore plus régulièrement. C’est une condition sine qua non pour mettre en place un cercle vertueux et réduire notre consommation d’eau en bouteilles plastiques.

Interview à retrouver dans le magazine Inf'Eau de mars 2022